Ici et maintenant

Publié le par anne

"Quelques semaines avant sa mort, Angelina avait eu une conversation téléphonique avec un couple d'amis proches qui vivaient à Bern. Ses paroles les avaient tellement frappés qu'ils les avaient aussitôt notées. La traduction de l'allemand en alourdit le style sans en amoindrir le sens: "Ce n'est pas tellement ma maladie qui importe; ce qui compte, toujours plus, c'est l'évolution qu'elle a déclenchée en moi, ce développement intérieur qui m'a saisie. Je me sens emportée et contenue dans cette lente transformation vers une dimension incomparablement plus vaste et essentielle."

A quelques jours de la fin, l'infirmière était arrivée dans une tenue très seyante, assez court vêtue, et Angelina l'avait accueillie par un grand rire: "oh la la, ça, ça va plaire à mon mari!"
Je n'ai jamais vu de possessivité chez Angelina.
- Quand je ne serai plus là, m'avait-elle dit un jour, Jean refera sûrement sa vie. Ce n'est pas le genre d'homme à rester seul." Ce fut la seule fois qu'elle évoqua explicitement sa mort avec moi.
- Et cela ne te rend pas jalouse?
- Non, m'avait-elle répondu, presque étonnée, qu'est-ce que ça change à la qualité de la relation que nous avons maintenant?

La veille de sa mort, Jean déambulait de long en large dans la pièce à côté, submergé de tristesse à l'idée de sa fin qui devenait imminente. Elle l'entendait marcher depuis son lit, elle devinait quelles pensées l'agitaient. Elle aussi sentait qu'elle n'en avait plus pour longtemps et qu'il s'agissait sans doute d'une question d'heures. Cela ne l'avait pas empêchée, à un certain moment, de rassembler ses forces, de se redresser dans son lit et d'apostropher son mari pour le rappeler à l'ordre, comme elle savait si bien le faire:
- Jean, en ce moment je ne suis pas en train de mourir, je suis en train de vivre!

Angelina avait l'habitude, chaque année, d'inscrire un mot, un seul, sur une ardoise qui restait posée en évidence quelque part chez elle. C'était en quelque sorte son programme de l'année, ce sur quoi elle voulait réfléchir et travailler. Je ne me souviens plus du mot de l'année précédente mais je me souviens de celui qui l'a accompagnée tout au long de sa dernière année. Sur l'ardoise était écrit à la craie blanche le mot Confiance, de sa belle écriture qui respirait aussi large qu'elle.

Véronique Desjardins Porte donnant sur la voie, extrait de la nouvelle Hommage à une belle âme

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A
vers Cythère...
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A
Oui je me souviens... chaque jour est un départ...
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