Histoire de sage (2)

Publié le par naëlle

"Tous les théologiens du monde réunis ne pourraient décrire cette transformation de l’être intérieur qui ne relève pas de notre psychologie classique. François laissait la place au Christ. Il restait homme, mais il était habité par le Christ. Le François d’hier, mourant d’amour, s’était rendu.

Ce que nous prenons pour une conversion dans le sens habituel du mot est simplement un changement d’habitudes. On renonce à ceci, à cela, non sans combattre, parce qu’on a accepté un « credo» qui exclut toute action délictueuse, mais l’homme intérieur n’a pas bougé. Il gouverne ses convoitises, mais demeure l’homme des convoitises. Il n’y a pas eu substitution d’une personne à une autre. Dans le cas de François, si.

Et maintenant qu’allait-il faire, le François nouveau? Son premier soin fut de se confectionner une tunique grossière et d’étoffe rugueuse et, pour bien marquer le sens de sa mission, il la tailla en forme de croix. Ainsi vêtu comme de l’armure de Dieu, nu-pieds, les reins ceints d’une corde, il rentra dans Assise et se mit à parler. De sa voix haute et claire et qu’on entendait de loin, il s’adressait à tout le monde. Les mots jaillissaient d’eux-mêmes de son cœur plein de cet amour qu’il voulait partager avec tous. Dieu fou d’amour pour chacun de ceux que rencontrait ce petit homme aux yeux brûlants... On l’écoutait avec stupeur. Il s’exprimait d’une façon si simple et si passionnante, avec des mots si directs et qui tombaient si juste que chacun les recevait comme pour lui seul. Beaucoup le suivaient, émerveillés que ce fût François qui leur tînt ce langage si différent des sermons tombant du haut d’un ambon le dimanche. Maintenant il ne s’agissait plus de lui jeter des pierres et de crier: « Pazzo! » Ce qu’il disait était du nouveau. Où avait-il appris tout cela, lui qui ne savait jadis que des chansons d’amour? Que lui était-il arrivé? Et il les connaissait, ses Assisiates. Il ne leur parlait pas pour leur faire peur, mais pour leur annoncer la paix et la joie de la Bonne Nouvelle: « Pace e bene! », comme l’exalté qu’on entendait jadis dans les rues de la ville. Et, cependant, quand il les regardait et les exhortait à la pénitence — et vite parce que le temps est court —, le coeur leur battait d’une vague inquiétude. Aucun ne se jugeait coupable et paradoxalement tous se sentaient visés à cause de cet homme qui circulait parmi eux et, avec les mots les plus ordinaires, les mots de tous les jours, pas le discours des savants, leur répétait que Dieu aime les pécheurs et ne hait que le péché."

Julien Green, «  Frère François »

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