Histoire de sages -1-

Publié le par naëlle

"Si donc vous voulez connaître votre véritable esprit, il faut retrouver la source d’où surgissent les pensées. Debout, assis ou allongé, au travail ou ensommeillé, ne cessez de vous demander, avec un désir intense de trouver la réponse : “Qu’est-ce que mon véritable esprit ?“ C’est cela que l’on appelle la “pratique”, qui est désir de vérité, soit d’accomplissement. Cette incessante poursuite, ce regard tourné vers le dedans est zazen"
Bassui, extrait de "Propos sur le Dharma"

Bassui Tokushô naquit en 1327, lors de la période de troubles qui précéda la chute du régime de Kamakura. Son disciple Myodô, qui écrivit sa biographie, publiée l’année de sa mort, rapporte qu’après le service célébré pour l’incinération de son père, Tokushô demanda à l’officiant à qui s’adressaient les offrandes de nourriture, puisque son père n’avait plus de corps. « À son âme », répondit le prêtre. Sur quoi, l’enfant se dit : « S’il existe une âme, je dois en posséder une dans mon corps. À quoi peut-elle bien ressembler ?» Dès lors, Tokushô ne cessa de s’interroger jusqu’au jour où, au cours d’une méditation, lui fut révélé que l’âme, comme le corps, était vide, et qu’il en était de même de tout l’univers. Il éclata de rire, se croyant enfin délivré. Néanmoins, son questionnement le reprit, mais sous une autre forme : « Si tout est vide, qu’est-ce qui de moi, en cet instant précis, voit et entend ? Qui en définitive est le maître ? « Lorsqu’il put enfin répondre, Bassui fit de sa propre expérience le sujet de son enseignement, considérant que tout homme en son enfance s’est posé cette question, mais que, devenu adulte, il a renoncé à la résoudre.

Tokushô ne fut ordonné moine qu’à vingt-neuf ans. Il n’entra pas dans un monastère, mais choisit de mener une vie simple d’errance solitaire. Son biographe Myodô raconte : «Au cours de ses nombreux pèlerinages, il refusait avec entêtement de passer, fût-ce une nuit, dans un temple et préférait dormir dans quelque hutte isolée, où il se livrait au zazen. Pour rester éveillé, il grimpait souvent dans un arbre, passant la nuit à méditer sur son kôan Qui est le maître?» Enfin, il rencontra celui qui put lui répondre, le vieux moine Rinzai Kohô Kakuniyô, héritier de Kakushin : ayant compris la profondeur de sa recherche, il l’invita à rester auprès de lui. Tokushô préféra vivre dans une hutte à l’écart, mais il venait chaque jour s’entretenir avec son maître. Au bout d’un mois, « le fond du tonneau fut arraché », «toutes ses idées et croyances furent anéanties par le feu». Tokushô retourna voir son maître pour lui raconter ce qui venait de lui arriver. Kohô lui répondit : « Mon Dharma (enseignement) ne disparaîtra pas. » Il lui donna son inka (certification) et un nouveau nom, Bassui, «très au-dessus de la moyenne ». Se sentant néanmoins incapable d’enseigner, Bassui reprit sa vie errante.

Il ne se fixa qu’à cinquante ans, construisant de ses mains un petit ermitage dans la montagne, près de Enzan. Mais bientôt le bruit se répandit qu’un Bodhisattva se trouvait là-haut, et les disciples commencèrent à affluer. Le gouverneur de la province lui offrit un terrain.  Ainsi s’édifia le Kogaku-an, « l’ermitage face à la montagne » que Bassui  ne voulait pas qualifier de -ji (temple) Pourtant, à l’apogée du Kogaku-an, on compta jusqu’à mille pratiquants, tant moines que laïcs, à qui le maître imposait une discipline très rigoureuse. À soixante ans, sentant venir la mort, Bassui s’assit en lotus et, pour ceux qui l’entouraient, répéta par deux fois d’une voix forte : « Ne vous égarez pas ! Regardez bien en face ! Qu’est-ce que ceci?» puis il expira calmement.

Contrairement à la plupart des maîtres de son temps, Bassui écrivit fort peu, ne publiant qu’un petit ouvrage, Wadei Bassui-shû, un an avant sa mort. Mais ses disciples réunirent ses enseignements dans deux recueils qui devinrent célèbres au XVIIe siècle. Ils contenaient entre autres ses Propos sur le Dharma et les lettres adressées en réponses à ses correspondants lointains. Grâce à un ton très personnel, à sa pénétration psychologique, l’enseignement de Bassui est encore fort utile à tous les pratiquants du Zen.

Le second abbé du Kogaku-ji fut le disciple direct de Bassui, Shun’ô Reizan (1344-1408), mais, en 1389, il se rendit à l’invitation du seigneur de Katakura de fonder un nouveau temple à Hachiôji, au nord- ouest de Tôkyô, le Kôon-ji, qui devint l’un des temples les plus importants de l’époque.*

* : Tiré de "L'univers du zen" de Jacques Brosse, p 140-141

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L
merci pour ce texte
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